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?crire l¡¯espace : note sur des oeuvres r¨¦centes de Li Wei

  • ?crire l¡¯espace : note sur des oeuvres r¨¦centes de Li Wei

    Artiste performer aux multiples facettes mais propageant son travail sous forme de photographies, Li Wei s¡¯installe dans le paysage artistique international comme une figure majeure. Ses performances sont de vraies performances et le fait de gommer au moyen de son ordinateur les traces de filins qui le retiennent dans ou au-dessus du vide n¡¯enl¨¨ve en rien ni les diverses impressions que nous pouvons ressentir face ¨¤ ses images, surprise, crainte, peur du vide mais aussi plaisir, amusement, ou encore interrogation, ni l¡¯exp¨¦rience r¨¦elle ¨¤ laquelle il se confronte et dans laquelle il entra?ne parfois quelques figurants.

    1. ? quoi sert la photographie ?

    1 Performance
    L¡¯oeuvre de Li Wei se situe litt¨¦ralement ¨¤ cheval entre la performance, n¨¦cessaire ¨¤ la r¨¦alisation de chacune des images qu¡¯il produit et la photographie, qui est l¡¯oeuvre que ceux qui n¡¯assistent pas ¨¤ la performance peuvent d¨¦couvrir. Par ce biais, plus encore que de r¨¦aliser des images aux aspects souvent un peu magiques, il interroge de mani¨¨re obsessionnelle d¡¯une part notre relation ¨¤ la m¨¦taphore et d¡¯autre part la relation de la photographie au contexte.
    En effet, afin d¡¯obtenir cet effet de surprise ou de sid¨¦ration - un moine planant dans le ciel au milieu des nuages ou un corps droit dont la t¨ºte est plant¨¦e dans le bitume qu¡¯il semble avoir fait exploser en s¡¯y fichant, un homme que des mains retiennent au-dessus du vide parce qu¡¯il se serait jet¨¦ par la fen¨ºtre d¡¯un gratte-ciel ou le m¨ºme homme parlant dans un micro la t¨ºte en bas apparemment retenu par rien dans le hall d¡¯entr¨¦e d¡¯un mus¨¦e - il doit recourir ¨¤ des installations techniques sophistiqu¨¦es dont la pr¨¦sence est syst¨¦matiquement gomm¨¦e.
    On peut y voir un aspect important de l¡¯oeuvre, mais il n¡¯en est rien. Si son propos est bien de produire un effet de surprise ou de stupeur, il n¡¯en reste pas moins que l¡¯enjeu est ailleurs, dans ce qu¡¯il fait faire au corps qu¡¯il prend en photo, le sien et ceux de ses assistants et la mani¨¨re qu¡¯il a de le situer dans l¡¯espace.
    Postures improbables ou impossibles, elles n¡¯en sont pas moins l¨¤ sous nos yeux, attirant notre attention finalement sur le r¨¦sultat plus que sur la performance. Le geste est pour lui source de sensation de mise en danger et de questionnement existentiel. Il l¡¯est aussi pour les spectateurs, mais d¡¯une autre mani¨¨re. Car ce qui importe lorsqu¡¯on regarde les images qu¡¯il pr¨¦sente, c¡¯est que deux questions se font jours. La premi¨¨re pourrait se formuler ainsi : est-il possible d¡¯¨¦crire avec son corps ? Et si oui quoi ? La seconde pourrait se dire ainsi : qu¡¯y a-t-il d¡¯autre ¨¤ regarder dans ces images que ce ou ces corps en l¨¦vitation ou ¨¦cras¨¦s ici o¨´ l¨¤ contre une terre r¨¦sistante.

    2 Contexte
    Le travail de Li Wei prend place dans une tentative n¨¦cessaire et insistante traversant certains courants de l¡¯art contemporain, celle de se r¨¦approprier le contexte. Il faut pour cela en avoir ¨¦t¨¦ exclu. C¡¯est le paradoxe le plus singulier non tant de l¡¯histoire de l¡¯art que de l¡¯histoire des techniques en tant qu¡¯elles sont impliqu¨¦es dans l¡¯art.
    Dans un livre d¡¯une acuit¨¦ toujours d¡¯actualit¨¦, White cube, l¡¯espace de la galerie et son id¨¦ologie, Brian O¡¯Doherty ¨¦voquant un instant la peinture du paysage du XIXe si¨¨cle, a pu noter la chose suivante : ¡¶ Ces tableaux ¡ª tout comme d¡¯autres qui, ¨¤ se focaliser sur un fragment de paysage ind¨¦termin¨¦, paraissent ¡¶ se tromper ¡· de sujet ¡· ¡ª accr¨¦ditent l¡¯id¨¦e qu¡¯il y a quelque chose ¨¤ y d¨¦celer, que l¡¯oeil doit en scruter la surface ¨¤ la mani¨¨re d¡¯un scanner. Cette acc¨¦l¨¦ration temporelle d¨¦fait le caract¨¨re absolu du cadre et l¡¯am¨¦nage en zone ¨¦quivoque. D¨¨s que vous comprenez qu¡¯un fragment de paysage est produit par la d¨¦cision d¡¯exclure tout ce qui l¡¯environne, vous commencez ¨¤ prendre conscience de l¡¯espace situ¨¦ hors du tableau. Le cadre devient une parenth¨¨se. La s¨¦paration des peintures le long du mur, comme par une sorte de r¨¦pulsion magn¨¦tique, devient in¨¦luctable. Le ph¨¦nom¨¨ne fut accentu¨¦ et ¨¤ vrai dire largement suscit¨¦ par la science nouvelle, l¡¯art qui se d¨¦dia ¨¤ extraire le sujet de son contexte : la photographie. ¡·
    En plongeant litt¨¦ralement son corps dans le vide, m¨ºme s¡¯il n¡¯est parfois qu¡¯une sorte de fond ¨¤ peine marqu¨¦ ou absent, c¡¯est ¨¤ tenter de comprendre et peut-¨ºtre de contrer cette exclusion du contexte dont nous sommes tous victimes, que travaille Li Wei.
    On pourrait en effet lire la plupart de ses oeuvres comme une tentative violente de projeter un corps, le sien en l¡¯occurrence non pas ¡¶ dans ¡· le contexte mais bien contre ce qui nous en tient ¨¦loign¨¦s, le vide insaisissable de l¡¯air qu¡¯il n¡¯est sans doute pas irr¨¦aliste d¡¯assimiler, au moins jusqu¡¯¨¤ un certain point ¨¤ la vitre de verre qui tient le r¨¦el ¨¤ distance et qui constitue l¡¯oeil de l¡¯appareil. Et ainsi de le faire appara?tre, ce contexte, sinon comme l¡¯objectif ¨¤ atteindre, du moins comme ce qui motive et d¨¦termine la r¨¦alisation de ces images.
    Certes, on peut se demander ce que voudrait dire habiter le contexte. Mais on sait, ou du moins on sent, qu¡¯implicitement, c¡¯est bien de notre contexte que nous sommes chaque jour un peu plus expropri¨¦s, ¨¤ la fois par les promoteurs et par les images et que le seul moyen de se le r¨¦approprier est d¡¯en passer par les images en leur faisant faire quelque chose qu¡¯elles ne font pas habituellement.
    L¡¯oeuvre de Li Wei prend naissance dans cette tentative ¨¤ la fois d¨¦sesp¨¦r¨¦e et essentielle, celle qui consiste ¨¤ tenter de montrer qu¡¯¨¤ d¨¦faut d¡¯habiter le r¨¦el qui comme zone d¡¯exclusion de l¡¯image peut ¨ºtre assimil¨¦ ici au contexte, il est possible de l¡¯¨¦crire. Et de l¡¯¨¦crire, non pas avec n¡¯importe quoi, mais avec son corps.

    1. Du vide et de la m¨¦taphore

    1 Fonctions du vide
    Ce que montrent les photographies de Li Wei, au-del¨¤ de la performance proprement dite, c¡¯est une mani¨¨re d¡¯investir le vide. Car c¡¯est bien ¡¶ l¨¤ ¡· que viennent se loger les corps dans ces images, dans cet espace qui entoure et enveloppe les choses, dans cet air que nous respirons et qu¡¯en g¨¦n¨¦ral nous ne percevons pas.
    Lui donner le nom de vide, c¡¯est insister sur le fait qu¡¯il n¡¯est pas neutre et que, ¨¤ la mani¨¨re du vide dans la physique contemporaine, il est en fait habit¨¦.
    Au chapitre 25 de son livre, Du vide et de la cr¨¦ation, Michel Cass¨¦ ¨¦crit : ¡¶ Le vide est pos¨¦ comme l¡¯¨¦tat d¡¯¨¦nergie minimale d¡¯une structure donn¨¦e. D¨¦finition toute relative : pour qu¡¯il y ait vide, il faut qu¡¯il y ait syst¨¨me. ?tant donn¨¦ la multiplicit¨¦ des syst¨¨mes, il y a donc des vides et non un vide. Le vide est vide de quelque chose comme la conscience est conscience de quelque chose. Il n¡¯y a donc pas de vide sans cette chose-l¨¤. Le vide est relatif ¨¤ la chose r¨¦elle. ¡·
    En pla?ant son corps dans des situations extr¨ºmes, en montrant des moments de rupture d¡¯¨¦quilibre ou d¡¯¨¦quilibre improbable et pourtant visible sur l¡¯image, Li Wei effectue une double op¨¦ration. Il fait du vide le tableau invisible sur lequel les corps viennent ¨¦crire une partition incertaine et il fait du corps le pinceau et le signe d¡¯une ¨¦criture en cours d¡¯invention.
    La photographie en d¨¦coupant l¡¯espace, invente un ph¨¦nom¨¨ne d¡¯exclusion du contexte contre lequel elle lutte en m¨ºme temps en tentant de le r¨¦introduire dans ce que l¡¯image montre. Ici ce sont souvent des paysages contemporains, immeubles en tout genre, routes, espaces industriels ou des paysages neutres, comme le ciel, mais qui sont habit¨¦s par des pr¨¦sences signifiantes, un bouddha en l¨¦vitation ou un avion, par exemple.
    En jetant litt¨¦ralement son corps dans le vide, il appara?t qu¡¯il le projette en fait contre le vide. En fait, Li Wei semble par ses performances, en mesurer la pr¨¦sence, la consistance et d¡¯une certaine mani¨¨re en d¨¦crire la fonction.
    Cette projection du corps marque une tentative de rendre compte de l¡¯effet boomerang in¨¦vitable qui accompagne l¡¯exclusion du contexte, ¨¤ savoir une tentative d¡¯inclusion du corps dans le contexte. Et cela ne se peut que d¡¯une mani¨¨re triple : par l¡¯image, dans l¡¯image et contre l¡¯image.
    Par l¡¯image car c¡¯est le seul moyen actuel permettant de mettre en sc¨¨ne l¡¯impossible.
    Dans l¡¯image, car c¡¯est le seul moyen de communication de ce qui ¨¦chappe aux mots.
    Contre l¡¯image, car ainsi projet¨¦ dans le vide le corps devient ¨¤ la fois pinceau et signe, vecteur de l¡¯¨¦criture et ¨¦criture proprement dite.
    Si cette ¨¦criture est encore en partie illisible, c¡¯est qu¡¯elle se fait ¨¤ c?t¨¦ ou au-del¨¤ des mots. Le corps devient ici une m¨¦taphore active, la rupture d¡¯¨¦quilibre engendr¨¦e par l¡¯exclusion hors du contexte et par le besoin irr¨¦pressible d¡¯en inventer un nouveau, fut-il le plus improbable.
    Et le seul contexte qui soit commun ¨¤ tous les niveaux d¡¯existence et ¨¤ tous les types d¡¯¨ºtre, c¡¯est le vide.
    Le chapitre XXV du Tao T? King stipule en effet ceci : ¡¶ Il y avait quelque chose d¡¯ind¨¦termin¨¦ / avant la naissance de l¡¯univers. / Ce quelque chose est muet et vide. / Il est ind¨¦pendant et inalt¨¦rable. / Il circule partout sans se lasser jamais. / Il doit ¨ºtre la M¨¨re de l¡¯univers. ¡·
    On voit ainsi se mettre en place dans les oeuvres de Li Wei une connexion efficace et puissante entre connaissances contemporaines et savoirs ancestraux. Cette connexion se fait autour d¡¯un questionnement sur les diff¨¦rences d¡¯¨¦chelles entre ph¨¦nom¨¨nes.

    2 D¨¦contextualisation et recontextualisation
    La performance prend ici toute sa force puisqu¡¯elle met en relation ces ¨¦chelles diff¨¦rentes en permettant ¨¤ des corps humains de se comporter comme des particules, au vide de devenir visible, au devenir de se montrer sous la forme d¡¯un animal encore sans visage, mais d¨¦j¨¤ ¨¤ l¡¯aff?t.
    L¡¯image, elle joue son r?le, un r?le d¨¦cisif mais comme toujours ambigu puisqu¡¯elle est ¨¤ la fois le vecteur de la d¨¦contextualisation et le moyen d¡¯une recontextualisation.
    La force de Li Wei est d¡¯op¨¦rer ce mouvement de recontextualisation, non pas en renvoyant les corps ¨¤ leur enracinement social, mais, en partant de leur inscription sociale, de les transformer en r¨¦v¨¦lateur de la puissance du vide.
    Il y a ainsi trois types de situation dans les photographies de Li Wei.
    Il y a celles qui rapportent les corps au sol. De tels moments sont des marqueurs de destruction. Dans ce cas la violence symbolique est en quelque sorte m¨¦taphoris¨¦e par l¡¯action fig¨¦e.
    Il y a celles qui mettent en jeu la rupture d¡¯¨¦quilibre, la chute possible ou l¡¯¨¦lan improbable. De tels moments sont les marqueurs du vide comme puissance de r¨¦sistance et de transformation du corps en signe. La recontextualisation se fait sur le mod¨¨le d¡¯une ¨¦criture ¨¤ venir.
    Il y a enfin les images qui montrent des corps qui flottent dans l¡¯air ou volent, se tiennent au-dessus du vide, en semblant avoir su prendre appui sur lui. La recontextualisation se fait sur un plan abstrait devenant concret ¨¤ travers l¡¯image r¨¦alis¨¦e d¡¯une situation impossible.
    Nous sommes ¨¤ la fois historiquement et spirituellement confront¨¦s ¨¤ la puissance plastique du vide. Ce que nous permet de visualiser et de comprendre le travail de Li Wei, c¡¯est que cette puissance du vide est ¨¤ la fois relationnelle, historique et absolument constructive. Il nous reste ¨¤ ¨ºtre concr¨¨tement, m¨¦taphoriquement et spirituellement ¨¤ la hauteur de ce vide qu¡¯un autre auteur chinois, Li Tseu, disait ¡¶ parfait ¡·.

    JLP

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